Mea culpa
 

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Romans historiques

Romans contemporains

Ecriture pour la scène

1

Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec ça ? On n’entend plus parler que de femmes battues. Ils ont même dit à la télé qu’on était dix pour cent des femmes à se faire cogner. Dix pour cent, à voir !  Ici à Plézec, disons que je connais cinquante femmes. On est pas plus de trois à en voir de dures avec nos bonshommes, faut  pas confondre une main aux fesses et une bonne trempe !
Ça sert à quoi de se plaindre ? Vous voulez  qu’on défile, qui un cocard sur la figure, qui les gambettes couvertes de bleus. Ce serait joli, tiens !  …
Enfin … depuis qu’on en parle, je me sens moins seule, mais ça n’empêche pas les coups de pleuvoir.
Qu’est ce qu’on y faire, c’est pas sa faute s’il cogne,  pauvre failli bonhomme. Il est pas heureux. Moi, je lui en veux pas. Je le comprends.
Tout ça, c’est depuis que le garage a fermé. Il boit parce qu’il a honte  que je  trime toute seule et quand il a trop bu, il devient mauvais. Mais c’est un gentil, mon mari. Il y a des matins, quand il voit comment il m’a amochée la veille, il me demande pardon, il sait plus où se fourrer, il boirait bien encore un coup, tiens, tellement il a honte !

 

2

Quel malheur, quand même, que le garage ait fermé ! Ici, il n’y a rien. Comment il va retrouver du travail ? Faudrait partir ailleurs, mais avec ses parents qui sont pas tout jeunes… On peut pas les laisser seuls. Maman, elle, ça va, elle vit avec nous, on pourrait l’emmener. Elle dirait rien. Elle ne dit jamais rien, de toute façon. C’est une femme courageuse, ma mère. Les parents de Michel c’est une autre affaire ! Et puis, ça lui fait du bien de s’occuper d’eux. Il se sent utile quand il retourne leur potager ou qu’il répare leur vieille plomberie. C’est important, ça, de se sentir utile. J’en sais quelque chose, maintenant que j’ai trois bouches à nourrir en plus de la mienne.
        

 

3

Elle va pas bien, l’assistante sociale, à me sortir des conneries pareilles !
Ah oui, je me vois bien lui faire un procès ! À mon  mari ! Ça serait du propre ! Sans parler de l’image que ma fille, elle aurait de son père. Comment qu’elle pourrait y  aller à l’école après, avec ses copines qui se paieraient sa fiole : ta mère, elle a fait coffrer ton père ? La taule, tu parles d’une solution. À quoi que ça servirait donc ? Deux mois à dormir tranquille sans la trouille qu’il rapplique complètement saoul de la cuisine.
Et après ? Après, il reviendrait, il  aurait toujours pas de boulot, encore moins de chance d’en trouver avec son casier pas vierge. On serait bien avancé, hein ?
Divorcez ! Qu’elle me sort, l’assistante sociale. Pauvre fille, va ! Qu’est-ce qu’elle y connaît au divorce, elle qu’est même pas mariée ? Michel, c’est quand même le père de ma fille !  Il lui a jamais  a cogné dessus !  Il a pas intérêt. Je supporterais pas. …. Sur maman non plus ! Il le sait. Même ivre mort, il a jamais seulement fait mine. Et c’est tant mieux parce qu’il est fort, mon mari ! Faut voir ! Chaque fois qu’on a besoin d’un costaud dans le bourg, c’est lui qu’on vient chercher. S’il les tapait, elles s’envoleraient en morceaux, les pauvres. …. ! Déjà que c’est  dur pour elles de me voir comme ça. Ah ça, non, faudrait pas qu’il les touche !
Ce qui m’embête, c’est la maîtresse de ma fille. La fouille-merde. Un jour Valentine elle s’est endormie en classe, elle m’a fait venir. Évidemment, ça tombait mal, j’étais pas jolie à voir.  ! Et vas-y la morale «  Ca ne me regarde pas, madame Martin, mais faut pas vous laisser faire. Il existe des associations maintenant, des n° verts, des soutiens psychologiques, est-ce que je sais ? » Hé bien, si tu ne sais pas tais-toi donc, que je pensais comme ça. T’aurais pas du boulot à lui refiler à mon mari plutôt que tes conseils de merde ! Ah, j’étais en colère, mais j’ai pas moufté, je voulais pas faire du tort  à ma fille.
  « Faut pas vous laisser faire ! » Comme si j’aimais ça ! Je me défends, je peux vous le dire, à grands coups de pieds. Les mains, non. C’est fini. Je m’en sers pour me protéger la figure, là où les coups, ça se voit le plus.
Tant que j’ai des bleus partout sur le ventre ou sur la poitrine, ça  commère pas  .
Enfin …., il y a les gentilles, qui se soucient mais, il y a les mauvaises biques que ça fait rigoler …. Dans le tas, il n’y en pas une  qui me dise des trucs qui me feraient du bien. Peut-être qu’il n’y a rien à dire. Des fois, je me sens  seule  … .

 

Création au théâtre de la Tempête (Cartoucherie de Vincennes) Juin 2005

Mise en scène : Bernard Jourdain

Lumières : Pascal Sautelet

Interprètes : Geneviève de Kermabon et Catherine le Hénant

 

 

 
   
 
Ecriture pour la scène